Scandales dans les EHPAD : les gouvernements complices

Le livre de Victor Castanet « Les Fossoyeurs » publié le 26 janvier 2022 comportait déjà de nombreux témoignages de professionnels travaillant dans les EHPAD et éclairait fortement sur la politique menée par la direction du groupe ORPEA. Depuis, il semble avoir aidé à libérer la parole, et les témoignages se poursuivent et se multiplient, venant des familles, des personnels et aussi d’anciens directeurs d’établissements. La diffusion le 1er mars, dans le cadre de l’émission télévisée sur France 2 Cash Investigation, des résultats d’enquêtes menées plutôt autour des groupes Korian et DomusVi, montre au grand public que le scandale des EHPAD n’est pas limité à un seul groupe privé mais qu’il concerne tout le secteur privé lucratif. Et d’autres études, d’autres rapports établissent que c’est l’ensemble du secteur (privé lucratif, privé non lucratif, public) qui doit être repensé et réorganisé.

Comme ils le font habituellement quand un scandale est dévoilé au grand public et que leur responsabilité est fortement engagée, les gouvernants jouent la découverte du phénomène et l’étonnement, et font savoir que des enquêtes vont être menées, et que des décisions vont être prises. Là, c’était Madame Bourguignon, ministre chargée de l’autonomie, qui était de service. Elle n’est en rien crédible quand elle dit découvrir l’ampleur du problème, si les témoignages sont avérés ajoute-t-elle. Depuis seulement l’été 2017 et l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, plusieurs rapports officiels ont été publiés qui font souvent de tels constats d’une insuffisance d’effectifs conduisant à des maltraitances institutionnelles à l’égard des personnes soignées. Plusieurs grèves, parfois longues, ont été menées, où les personnels, souvent en lien avec les familles, dénonçaient le manque d’effectifs, avec des conséquences directes et immédiates sur leurs conditions de travail et sur les conditions de vie des personnes. Le 30 janvier 2018, toutes les organisations syndicales des personnels des EHPAD et de l’aide à domicile appelaient à une journée de grève et d’action, et les 9 organisations de retraité.e.s soutenaient ces initiatives. Déjà nous dénoncions l’attitude des gouvernements qui, dans le cadre d’une politique globale visant à réduire les contributions sociales et fiscales des plus riches, détruisaient les moyens des services publics. Dans le secteur de la perte d’autonomie, le choix politique est de réduire les moyens des EHPAD publics, ce qui a pour conséquence immédiate une dégradation des conditions de travail des personnels (en nombre insuffisant, mal formés et mal payés) et une dégradation des conditions de vie des personnes. Cette politique d’austérité à l’égard du secteur public se traduit aussi par la fin de création d’EHPAD publics, ce qui a pour effet immédiat d’ouvrir plus largement ce « marché » aux capitaux privés. Et en acceptant que les « investisseurs privés » placent leurs capitaux dans « l’or gris », les gouvernements acceptent que, dans ce secteur aussi, la rentabilité financière soit l’objectif prioritaire recherché, voire l’objectif unique, avec les conséquences extrêmes constatées : des notes internes intimant aux responsables de supprimer les croutons de la soupe à l’oignon le jour de la fête des grands-mères ! La bonne soupe, c’est pour les actionnaires. Le 12 mars 2020, dans une allocution télévisée, le Président de la République s’adressait à toute la Nation : « … Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ». En même temps qu’il laissait entendre que la santé et le soin devaient être mis hors des règles du marché, donc hors de la concurrence et de la seule rentabilité financière, Emmanuel Macron continuait de supprimer des lits dans les hôpitaux et de ne pas donner les moyens financiers pour conforter le secteur public des EHPAD. Aujourd’hui, les maltraitances dont sont victimes les personnes en perte d’autonomie sont de la responsabilité première de celles et ceux qui refusent de voter des budgets publics suffisants et qui ouvrent ces marchés à l’avidité des capitaux privés. Le rationnement sur la nourriture, les économies grâce aux sous-effectifs et aux qualifications insuffisantes, les détournements de fonds publics par de fausses déclarations de personnels médicaux payés par la Sécurité sociale au lieu de personnels d’entretien normalement à la charge des établissements privés, les responsables de tout ceci ce sont les députés qui votent les budgets et les gouvernements qui exécutent ces lois et les Agences Régionales de Santé qui « font confiance » et ne programment pratiquement pas de contrôles, car il ne faut pas gêner « les affaires » et continuer de faire confiance aux entreprises.

Pour essayer de contrer les revendications qui exigent un changement fondamental d’orientation, déjà les partisans du marché avancent que le marché lui-même est en capacité de régler cette situation : les actions d’ORPEA, de Korian, etc., sont en chute ; les investisseurs vont « naturellement » changer d’objectifs pour que leur image soit améliorée et pour qu’ils retrouvent la confiance des utilisateurs éventuels. Il serait donc urgent de ne rien faire, et ça va s’arranger tout seul. Le 1er mars, lors du débat qui a suivi la diffusion de l’enquête de Cash Investigation, Madame Marie-Anne Montchamp a tenu des propos qui pouvaient laisser croire une grande détermination : « Les investisseurs doivent revoir leurs critères… Il faut changer les normes pour réorienter le modèle vers la personne et non vers le côté financier uniquement ». Le secteur serait donc toujours ouvert aux capitaux privés, à l’inverse de ce que disait Macron lui-même le 12 mars 2020, mais les détenteurs de capitaux devraient être moins avides. Toujours pas de nouvelle législation, toujours pas de crédits publics. Mme Montchamp s’inscrit dans l’enfumage mis en place par la loi Pacte de 2019 qui permet à une entreprise d’inscrire dans ses statuts ses « objectifs sociaux et environnementaux », devenant ainsi une « société à mission ». On change la raison sociale, mais il n’y a que ça qui change !

Il faut faire en sorte que ce dossier soit toujours présent au cours de la campagne politique ouverte (élection présidentielle et élections législatives) pour faire entendre notre exigence d’un grand service public de l’aide à l’autonomie, à domicile et en établissement, et une prise en charge à 100 % par la sécurité sociale.