Dossier : Dette, impôt, dépenses publiques, coût du travail : face à l’offensive néolibérale, que faire ?

À l’image de sa réforme inutile et injuste des retraites, le gouvernement veut s’engager dans une baisse des dépenses publiques à marche forcée. Il martèle qu’il n’y a pas d’autre solution que réduire les impôts et les dépenses publiques. Or, les enjeux sociaux et écologiques nécessitent une véritable transformation à rebours des politiques néolibérales. Pour y faire face, des financements suffisants sont nécessaires. Ils nécessitent de sortir de la logique d’accumulation capitaliste et des impasses anti-sociale et destructrices de l’écologie actuelles. C’est à cette condition qu’une véritable justice fiscale, sociale et écologique est possible.

L’épouvantail de la dette publique

Déficits, dette : de quoi parle-t-on ?

Le discours culpabilisateur néolibéral est bien rodé : depuis 1974, le budget de la France est déficitaire, nous vivons au-dessus de nos moyens, la dette publique de 111,6 % du produit intérieur brut (PIB) fin 2022 soit près de 3.000 milliards d’euros ! La dette publique serait trop élevée, elle pèserait sur nos enfants, la charge de la dette nous paralyse et pèse sur le budget, etc. Il n’y aurait donc pas d’alternative : pour relancer l’activité économique, il faudrait réduire drastiquement les dépenses publiques sans pour autant augmenter les impôts.

Commençons par définir les termes. Déficit et dette publics sont bien deux notions distinctes qu’il ne faut pas confondre. Le déficit public correspond à un solde annuel négatif du budget des administrations publiques, les dépenses étant supérieures aux ressources. Un déficit est donc annuel alors qu’une dette est une accumulation de déficits sur plusieurs années. Le déficit est un flux et la dette est un stock.

Plusieurs raisons expliquent la hausse de la dette publique.

  • Les investissements publics en expliquent évidemment une partie. Ils sont liés à de nombreux facteurs : besoins en matière de transport ou de communication, impact de la démographie qui se traduit par un besoin en investissement dans l’éducation, la dépendance perte d’autonomie, etc.
  • La succession de différentes crises en expliquent une bonne part. Il en va ainsi des crises pétrolières des années 1970 et du début des années 1980, la crise immobilière du début des années 1990, la crise boursière du début des années 2000, la crise des subprimes de 2008–2009, la crise du Covid en 2020 et récemment la guerre en Ukraine.
  • La dépendance aux marchés financiers constitue une autre explication : à la fin des années 1980 et dans les années 1990, le niveau élevé des taux d’intérêt a alimenté la dette publique.
  • La baisse de certains impôts (notamment les impôts des plus riches et des entreprises) intervenue depuis une vingtaine d’années a plombé les recettes sans pour autant « ruisseler » sur l’économie. En 2014, le rapport du collectif pour un audit citoyen de la dette avait calculé qu’une majorité (59 %) de la dette de l’époque provenait de baisses d’impôts1.

Des solutions, il y en a!

La question de la dette publique ne doit pas être instrumentalisée et nuire à la prise en charge des besoins. La priorité absolue c’est un véritable partage des richesses et d’éviter l’austérité dont les dégâts humains, écologiques et économiques sont connus. L’exemple dramatique de la Grèce est là pour le rappeler. La dette publique n’est pas mauvaise en soi : il est légitime de financer les investissements publics par du déficit public. Or, dans la période, le besoin en investissements, dans la transition énergétique par exemple, est important.

Au-delà, il faut donc :

  • que les banques centrales contribuent à financer la dette publique, pour la réguler et qu'elle ne soit pas totalement dans les mains des marchés financiers.
  • une véritable réforme fiscale permettrait d’éviter que la baisse des recettes ne soit de facto payée sous forme de politique d’austérité par la population.

Par ailleurs,

  • que la banque centrale européenne (BCE) annule la part de la dette publique qu’elle détient.
  • que la BCE et les banques centrales nationales puissent financer directement les déficits publics par création monétaire. Elles doivent pouvoir le faire à partir d’objectifs économiques, sociaux et écologiques.

Y a-t-il trop d’impôt ou pas assez de justice fiscale ?

Face à un discours trompeur, une véritable pédagogie s’impose

Invoquant la nécessité d’être plus compétitif, le discours néolibéral martèle qu’il faut baisser les impôts ? Une baisse des impôts permettrait donc de dégager des marges de manœuvre pour les entreprises, les investisseurs et les ménages, ce qui relancerait l’activité économique et ferait baisser le chômage. Attention cependant, la priorité est surtout de baisser les impôts des grandes entreprises et des riches, puisque ce sont les agents économiques qui peuvent le mieux relancer l’économie. La France étant la championne du monde des prélèvements obligatoires, elle n’aurait de toute manière pas le choix…même si aujourd’hui, on le voit par le discours de Macron…les baisses d’impôts des “classes moyennes” sont censées faire passer la pilule des 64 ans et de l’inflation qui ne compense pas la stagnation ou la diminution des salaires.

En réalité, ce discours est particulièrement trompeur puisqu’il n’évoque pas les conséquences d’une baisse des prélèvements obligatoires. Les baisser suppose inévitablement de ne plus assurer la même couverture en matière de services publics (voire d’en privatiser) et de protection sociale. Dans les pays où le taux de prélèvements obligatoires est inférieur à celui de la France, les services publics sont en effet moins développés, tandis qu’une partie de ce qui relève de la Sécurité sociale en France est assurée par des organismes privés, comme les fonds de pension pour les retraites ou les assurances santé privées. Dans ces pays, pour avoir la même contre-partie qu’en France, il faut alors payer des cotisations « privées ». Mais les systèmes privés sont plus coûteux (ils dégagent du bénéfice par exemple) et inégalitaires puisque les meilleures couvertures sont aussi les plus chères.

Le rôle économique et redistributif du système français est hélas méconnu. Or, le système fiscal et de prélèvements, les services publics et la redistribution opérée par la protection sociale réduisent considérablement les inégalités et le taux de pauvreté. Sans cela, le taux de pauvreté de 14,6 % en 2019, aurait atteint 22,2 %2.

Des solutions, il y en a!

Les réformes fiscales de ces dernières années ont plombé les recettes publiques, nourri les inégalités puisqu’elles ont été principalement ciblées sur les plus riches et dégradé le consentement à l’impôt. En effet, la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, l’instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU) et la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) ont boosté les distributions de dividendes. Selon le comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital de France stratégie ; « 72 % du coût de la réforme - et donc du gain pour les ménages - est réalisé au bénéfice des 10 % des ménages dont le revenu fiscal de référence est le plus élevé, soit supérieur à 130 414 euros en 2015. En réalité, le gain est encore plus concentré sur les très hauts revenus, puisque 43 % du coût pour les finances publiques bénéficie au 1 % des ménages dont le revenu fiscal de référence est le plus élevé »3. Le rapport précise que ces réformes n’ont eu aucun effet notable sur l’investissement et l’emploi.

Il faut donc:

  • revenir sur ces réformes.
  • procéder à une revue des niches, fiscales et sociales, dont le coût global avoisine les 200 milliards d’euros4 afin de supprimer les moins efficaces et les plus injustes.
  • un rééquilibrage pour rehausser les impôts directs et renforcer la progressivité du système fiscal. Cela passe par un élargissement des assiettes permis par la revue des niches, par une revalorisation de l’impôt sur les sociétés, de l’impôt sur le revenu et des impôts patrimoniaux (avec, pour ces deux derniers, un renforcement de leur progressivité).

-> Au niveau international:

  • une taxation unitaire permettrait de neutraliser une grande partie des schémas d’évasion fiscale. Elle considérerait un groupe de société comme une entité économique et non comme un ensemble d’entités indépendantes les unes des autres. Le bénéfice mondial consolidé sur la base de toutes les entités du groupe serait réparti entre les États selon des critères objectifs reflétant une activité économique réelle : le chiffre d’affaires, le nombre de salariés et les immobilisations (les bâtiments notamment).
  • Cette réforme d’ensemble doit également prévoir une taxe sur l’ensemble des transactions financières. Dans ce cadre, une fiscalité écologique relevant la taxation du carbone pourrait être instaurée et étant juste.

-> face à une fraude fiscale d’ampleur (au moins 80 milliards d’euros en France par an), il faut un renforcement de l’ensemble des moyens humains (l’administration fiscale doit retrouver les 3.000 à 4.000 emplois supprimés dans les services de contrôle fiscal), juridiques (une liste noire des paradis fiscaux élargie avec la possibilité de mettre en œuvre des dispositifs « anti-abus » efficaces) et matériels . Il en va de même au niveau international avec le renforcement de la coopération ou encore l’instauration d’un cadastre financier européen voire mondial par exemple.

Défendre les dépenses publiques, donc les services publics et la protection sociale

Sortir des malentendus...

Les néolibéraux n’évoquent l’action publique que sous l’angle de la dépense. L’État dépenserait trop, la sécurité sociale coûterait des milliards, etc. Cette dépense publique nuirait à l’économie. Raisonnons autrement. Lorsqu’il est question d’analyser l’activité d’une institution privée, il est habituel de dire de cette activité qu’elle produit en millions ou milliards d’euros. À aucun moment il n’est alors question de dépense alors que, comme dans n’importe quel type d'activité, le secteur privé dépense et supporte des charges (investissements, loyers, coûts financiers, coûts salariaux, etc.).

En réalité, la dépense publique produit. Prenons l’exemple du budget de l’éducation nationale, premier poste de dépense de l’État, mais aussi première production puisque les corps enseignant et administratif produisent de l’éducation, à l’instar des établissements d’enseignement privés. Il n’y a par exemple aucune raison de considérer le personnel des missions transverses par exemple comme improductif pour les activités publiques alors qu’il serait miraculeusement productif sur les mêmes missions dans le secteur privé. Pourquoi un infirmier sous statut de la fonction publique hospitalière serait un fonctionnaire improductif alors qu’il serait un producteur s’il travaillait dans un établissement privé par exemple ? À l’évidence, la notion de « travail productif » n’est pas réservée au secteur privé ? L’administration publique n’est donc pas composée de fonctionnaires improductifs et de «tires au flanc» comme certains aimeraient le faire croire. Le PIB mesure d’ailleurs les activités non marchandes des administrations publiques.

Par ailleurs, un investissement public fait appel à des entreprises privées, ce qui soutient également l’activité économique du secteur privé. Sans parler des aides publiques aux entreprises, qui atteignent des montants records, ce qui pose la question de la gestion de la dépense publique5 : l'aide publique aux entreprises n'a cessé d'augmenter au cours des dernières décennies, le montant total des subventions accordées (non ajusté de l'inflation) ayant plus que quadruplé en vingt ans. Entre 2000 et 2019, la part des aides de l'État reçues par le secteur privé dans le PIB français est ainsi passée de 2,7 % à 6,4 % . Enfin, les dépenses publiques jouent un rôle majeur dans les revenus des ménages : ils en représentent près du tiers (retraites, remboursement de dépenses de santé, assurance chômage, etc). Autrement dit, en plus de leur rôle économique et social, les dépenses publiques nourrissent l’activité économique et la création de richesses.

Combattre les discours néolibéraux

Pour sortir du discours trompeur et simpliste des néolibéraux, il faut le répéter, encore et toujours : en réalité, l’écart dans les niveaux de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques entre les différents pays s’explique par l’importance des dépenses sociales publiques et des services publics en France. Les pays où elles sont moins élevées présentent un niveau de prélèvements et de dépenses privées plus important qu’en France. Dit autrement : plus de public implique moins de privé, et inversement.

La dépense publique est un facteur de l’amélioration des conditions de vie des populations. Elle finance des services publics qui respectent des principes d’égalité de traitement et d’accessibilité au bénéfice de toute la population. Au lieu de réduire le maillage territorial, de fermer de plus en plus de services publics de proximité, il faut au contraire les développer, les améliorer, et les rendre accessibles au plus grand nombre. Par un meilleur financement qui serait permis grâce à une réforme fiscale juste, il sera possible de renforcer le rôle des dépenses publiques afin qu’elles permettent un développement des services publics et une protection sociale de haut niveau. Ceci impliquerait notamment de revenir sur certaines « réformes » comme celle de l’assurance chômage et des retraites par exemple, mais aussi de prendre en charge certains besoins sociaux comme la dépendance et la perte d’autonomie et d’améliorer le système de santé.

Le travail coûte-t-il trop cher ?

Réduire les « charges », l’obsession néolibérale

En matière de « coût du travail », l’idéologie néolibérale se résume ainsi : « Les baisses de charges constituent la clé de voûte de notre stratégie. Ce n'est pas de l'idéologie, mais tout simplement “ça marche”, ça crée des emplois. Et c'est pour ça qu'il faut le faire 6». Cette approche met l’accent sur le coût, autrement dit la rémunération, du travail et sur la partie socialisée des revenus et des salaires, laquelle finance le système de Sécurité sociale. Solidaires conteste cette vision libérale qui présente les cotisations sociales comme des charges sociales alourdissant le coût du travail.

Si ces allègements de cotisations sociales procèdent de la volonté des gouvernements successifs de baisser le « coût du travail » pour, du moins officiellement, favoriser la création d’emplois, le bilan de cette politique n’est guère reluisant. Pour le rapport du Comité de suivi des aides publiques aux entreprises et engagements7, rattaché lui aussi à France Stratégie, qui en dresse un constat sévère, « on ne dispose à ce jour d’aucune évaluation des effets sur l’emploi de cette politique sur l’ensemble des vingt-cinq dernières années. Enfin, on sait peu de choses sur la nature des emplois créés ou sauvegardés (par sexe, âge, diplôme, catégorie socioprofessionnelle, expérience) et sur leur ventilation par secteur d’activité ou taille d’entreprise. On ignore par ailleurs si l’efficacité de la politique d’allégements s’atténue à mesure que les allégements de cotisations sociales s’amplifient ».

Ces dispositifs présentent en outre des effets pervers puisqu’ils incitent des employeurs à maintenir les salaires en dessous des seuils d’exonération, ce qui crée des trappes à bas salaires, maintient les inégalités et alimente la précarité. Précisons enfin que le coût de ces allègements (que l’on peut nommer « niches sociales ») n’a cessé de croître : il aurait quasiment doublé depuis 2013 pour atteindre 86 milliards d’euros, voire plus de 90 milliards selon la Cour des comptes8.

En s’attaquant au « coût du travail », les néolibéraux tentent de faire coup double : s’approprier une plus grande part de la valeur ajoutée et appauvrir le système de sécurité sociale pour accroître les parts de marché du secteur privé.

Que faire ? Rétablir le salaire socialisé des salarié-es

La priorité est de rappeler l’évidence : c’est le travail qui crée la richesse, il est donc une richesse dont la rémunération est pleinement justifiée. La part des salaires dans la valeur ajoutée doit progresser, par la liquidation des « niches sociales », comme préconisé ci-dessous, l’augmentation des cotisations sociales patronales, et par une revalorisation des salaires, en priorité des plus bas salaires. Un écart maximum des salaires et de l’ensemble des revenus doit être prévu (pour Solidaires de 1 à 5) , la progressivité de l’impôt sur le revenu que nous préconisons pouvant l’assurer en dernier ressort. Certes, si en la matière, la question de la rémunération du travail ne concerne pas seulement celle des allègements de cotisations sociales, ceux-ci sont au cœur des politiques néolibérales. Ils doivent être supprimés. Pour Solidaires, les cotisations sociales (part employeur comme part salarié-e) font partie intégrante de la rémunération du travailleur/euse. S’agissant de la rémunération du travail, ces cotisations appartiennent aux salari-é-es et ne sauraient être allégées ou exonérées. Elles sont le salaire socialisé des travailleur-euses.
Telles seraient les mesures les plus adaptées pour assurer un « partage de la valeur », loin de ce que préconise le gouvernement en voulant étendre les mécanismes liés au partage du profit qui ne correspondent nullement aux enjeux et aux attentes des salarié.es.


1 Rapport du collectif pour un audit citoyen de la dette publique, « Que faire de la dette publique ? », 27 mai 2014.

2 Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, « Minima sociaux et prestations sociales », édition 2022.

3 Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, troisième rapport, 14 octobre 2021.

4 Observatoire de la justice fiscale d’Attac, « 200 milliards d’euros de niches fiscales et sociales, pour quelle efficacité ? », 28 janvier 2022.

5 Rapport Ires/ CGT, « Un capitalisme sous perfusion », mai 2022.

6 Déclaration de politique générale de Jean-Pierre Raffarin du 3 juillet 202.

7 Rapport du Cosape, « Les exonérations générales de cotisations », France stratégie, juillet 2017

8 Rapport de la Cour des comptes, « Les niches sociales, des dispositifs dynamiques et insuffisamment encadrés, une rationalisation à engager », octobre 2019.